Sophihannahbellah était furieuse contre elle-même. Elle avait fait beaucoup, oui beaucoup trop de bruit. Le garçon avait failli l'entendre. Et d'ailleurs, il n'y aurait jamais du y avoir de garçon ici. Elle avait du se tromper dans l'emploi du temps des gardes et des écuyers. Mais elle perdait un temps précieux, à empêcher ce jeune homme de s'enfuir. Il n'avait pas eu le temps de voir son visage. Et il n'en aurait sans doute pas du tout l'occasion. Malgré tout, une fille qui tombe du ciel, cela ne s'oublie pas. Elle allait devoir le prendre en otage.


Jadev était immobile, comme pétrifié. la lame froide du couteau sur sa gorge lui glaçait le sang. Au contraire, son cerveau était en ébullition. Qui était-cette fille ? Pourquoi l'attaquait-elle ? Pourquoi ne voulait-elle pas être vue ? Elle était derrière lui, et l'empêchait de bouger. Il ne s'avait qu'une seule chose de sa mystérieuse assaillante. En effet, une de ses mèches blondes lui chatouillait la joue. Une forte odeur de myosotis s'en dégageait. Ne m'oublie pas, disait le myosotis dans le langage des fleurs. Ah ça non, il ne risquait pas d'oublier la fille qui le menaçait d'un couteau. Alors qu'il avait ces pensées, elle rangea son arme et se dirigea vers l'un des chevaux. Alors qu'il esquissa un mouvement pour s'en aller, elle bondit en arrière et le plaqua sur une des colonnes qui soutenait le auvent. Il ne pouvait distinguer son visage, mais il put voir ses yeux. C'était les plus beaux qu'il ait jamais vu. C'étaient des yeux bleus, mais d'un bleu ! Un bleu clair, rappelant le ciel, un bleu froid, comme la neige. Un bleu brillant, constellé d'un bleu encore plus clair, rappelant des flocons de neige tourbillonnant durant une tempête. IL lui semblait bien avoir déjà vu ces yeux quelques part, mais il était incapable de dire où. Elle fit plusieurs signes brefs lui indiquant de ne pas bouger. Elle était toujours armée, et Jadev fut bien obligé d'obéir. Il constata avec colère qu'elle détachait un des chevaux.


Sophihannahbellah n'était pas peu fière. Elle avait réussi à maintenir en respect un garçon mesurant une tête de plus qu'elle. De plus, un homme jeune et fort ne serait pas de trop pour l'aider à fuir le royaume, et elle n'allait pas le laisser s'enfuir aussi facilement. Elle détacha l'étalon vigoureux qu'elle avait choisi, puis monta dessus. Par signes, elle invita le garçon à en faire autant. Il la regarda d'un air méfiant, puis obéit. Il avait l'air d'être bon cavalier. Après avoir donné deux coups de talons sur le flanc du cheval, ils s'enfoncèrent dans la nuit.


Le voyage durait assez longtemps. D'après Jadev, , il s'était écoulé plus ou moins trois heures depuis leur départ. La jeune fille maîtrisait son cheval, et le mystère de son identité continuait de planer au-dessus de sa tête. Jadev était furieux. Une fille plus petite que lui l'avait mis facilement hors jeu. C'est en ruminant ces sombres pensées qu'il se rendit compte qu'ils ralentissaient en arrivant dans la forêt.


Sophihannahbellah n'avait pas assez d'expérience du monde extérieur pour être sûre d'être en sécurité dans la forêt, mais elle se sentait en confiance au milieu des arbres. elle s'arrêta dans une clairière, fit un feu et fit cuire des cubes de boeuf.
Le garçon la regardait d'un air perplexe. Elle vit ses yeux à la lueur du feu. Ils étaient bleu, comme les siens, mais pas de la même façon. Les siens étaient d'un bleu froid qui évoquait la glace, tandis que ceux du jeune homme rappelait une mer houleuse, déchaînée; une mer qui aurait englouti un trois mâts . Sophihannahbellah pouvait presque entendre le fracas de l'
océan se fracassant sur les rochers.


"-Vous êtes la princesse Sophihannahbellah
-Qu'est-ce qui te laisse le supposer ?
-Les portraits royaux qu'on voit à l'école.
-Bonne mémoire visuelle.
-Pourquoi n'êtes vous pas au palais ?
-D'après toi ? Je suis couronnée dans deux mois.
-Vous ne devriez pas vous préparez ?"

Elle éclata de rire. Un rire cristallin, qui fit sursauter Jadev. Décidément, la princesse était in ne peut plus agaçante.


"-Je vais vous ramener au palais.
-Et comment ? Je te rappellerai que tu t'es facilement laissé battre, tout à l'heure.
-Ce n'était pas un combat loyal.
-Qui joue avec les règles dans ces cas-là ?
-Pourquoi m'avez vous emmené ?
-D'après toi ?
-Pour ne pas que je vous signale.
-Tu vois quand tu veux. Alors : je suis armée, pas toi. Tu ne sais pas où on est, moi si. Sans moi, tu risques de mourir dévoré par les loups, de faim, ou de soif. Alors tu me suis, tu ne poses pas de questions, et tu restes sage, d'accord ?"

Il dut admettre qu'elle avait raison. Sans elle, il ne tiendrait pas trois jours. IL était furieux, mais i était obligé d'obéir. Il baissa les yeux, et la princesse qu'elle avait gagné.


"-Bon, ça, c'est fait. Comment tu t'appelles ?
-Jadev.
-Très bien. Ah oui, une dernière chose : ne m'appelles ni princesse, ni majesté ou quelque chose de ce genre. Ne m'appelles pas non plus Sophihannahbellah. Appelle-moi plutôt Hannah. Et surtout : tutoies-moi.

Elle s'allongea aussitôt après sa tirade, le couteau à la main, le sac de toile coincé sous le bras. Décidemment, c'était une drôle de fille. Malgré tout, Jadev posa la question qui le tiraillait depuis un moment.


"-Euh... Sophi... Hannah. Quand est-ce qu'on est censé rentrer ? Parce que... vous... tu... devrais être couronnée dans deux mois. Donc..."

Il s'interrompit. Elle avait commencé à se relever, lentement. Une fois en position assise, elle se retourna. Elle avait les yeux pétillants, et un sourire espiègle et moqueur sur le visage, découvrant ses dents parfaites.

"-Mais c'est ça, le truc, Jadev. On ne rentre pas."